L’endométriose, ou quand être une femme est douloureux

Ce mois-ci, je vous propose d’aborder un sujet un peu moins léger que d’habitude, parce qu’il parlera sans doute à un grand nombre de mes lectrices, touchées de près ou de loin par cette maladie. L’année dernière, une de mes amies très proches a été diagnostiquée d’une endométriose à un stade avancé. Une maladie qui touche 180 millions de femmes dans le monde, dont Whoopi Goldberg, Lorie ou Cindy Lauper. Après avoir traversé un véritable parcours du combattant pour être soignée, elle partage aujourd’hui son expérience afin de lever le voile sur cette maladie, ses implications et les possibilités de traitement en Nouvelle-Calédonie. J’ai voulu partager son témoignage pour la soutenir dans sa démarche : de trop nombreuses femmes atteintes de cette maladie peinent à se sentir comprises, soutenues et informées. Au-delà du diagnostic et du traitement médical, l’accompagnement émotionnel peut s’avérer précieux dans le parcours que traversent les patientes et leur entourage. L’objectif de cet article est de contribuer à ce que les personnes touchées par l’endométriose se sentent moins isolées et osent à leur tour partager leur expérience, afin de devenir peut-être une main tendue vers d’autres patientes et de sensibiliser la population sur cette maladie. 

« Ecrire un article sur un sujet personnel est une première pour moi. Jamais je n’ai ressenti l’envie ou le besoin de partager une expérience parce que je n’y voyais pas d’utilité pour les lecteurs. Deux choses ont changé aujourd’hui : j’ai connu un parcours sur l’endométriose un peu complexe et j’ai découvert qu’en parler autour de moi pouvait aider. Aider en sensibilisant, en rassurant, en apportant des conseils…


Des articles sur l’endométriose, il y en a des centaines… j’en ai épluché un grand nombre lorsque j’ai découvert la maladie. Dans ce témoignage, je voulais plus particulièrement m’adresser aux Calédoniennes (et Calédoniens car les hommes qui nous entourent ont aussi un rôle à jouer 🙂 Souvent, on dit que la Calédonie a ses particularités, son fonctionnement propre… je dirais que le traitement de l’endométriose ne fait pas exception.


Avant tout, qu’est-ce que l’endométriose ? L’utérus est couvert d’un tissu, l’endomètre, qui s’épaissit au fur et à mesure du cycle. S’il n’y a pas de fécondation, ce tissu se désagrège : ce sont les règles. Et bien l’endométriose c’est la présence de ce tissu en dehors de l’utérus, sur les ovaires, les trompes, le rectum, les ligaments, la vessie… et cela provoque des lésions, des kystes, des nodules et/ou des adhérences. Les symptômes sont des douleurs pendant les règles (les dysménorrhées) et/ou une infertilité. Et puis d’autres symptômes agréables peuvent s’ajouter : avoir mal pendant les relations sexuelles (dyspareunies), diarrhées, constipations, douleurs lombaires, fatigue… On compte 4 stades dans l’endométriose, en fonction de l’étendue des lésions. Dans les cas sévères, des adhérences se créent entre les organes du bas-ventre, des atteintes digestives peuvent également apparaître. Cette catégorisation n’est qu’un indicateur, il ne faut pas sous-estimer un stade 1 ou 2, ils peuvent être tout aussi voire plus douloureux qu’un stade 4 !

Celles et ceux qui n’avaient jamais entendu parler de l’endométriose peuvent encore penser que c’est parce qu’il s’agit d’une maladie rare, de cas particuliers. Erreur ! Plus d’une femme sur 10 en âge d’avoir des enfants a cette maladie. Faites le test, parlez-en autour de vous et vous serez surpris du nombre d’histoires qu’on vous rapportera.


En débutant cet article, j’avais commencé par écrire tout mon parcours sur l’endométriose… même sur le ton de l’humour ça restait long. En résumant, voilà les étapes par lesquelles nous sommes passés (« nous » ? oui j’ai naturellement commencé à utiliser la 1e personne du pluriel en voyant l’impact de la maladie sur notre couple, sur mon compagnon et comment il s’impliquait pour que j’aille mieux)

  1. Le déni « non, ça va… » et pendant ce temps les douleurs s’installent petit à petit, chaque fois un peu plus présentes et handicapantes que le mois précédent.
  2. L’errance, c’est le moment où j’ai réalisé que quelque chose n’allait pas. C’est la période des questions, des doutes. Tu ne sais pas ce que c’est que ce « quelque chose ». Et surtout, tu es seule. Seule à souffrir. Seule à chercher.
  3. Le diagnostic. Dans notre cas, il est arrivé assez rapidement, en quelques mois… au fur et à mesure des consultations et examens, il s’est aggravé et nous avons finalement découvert un stade 4 avec attentes digestives.
  4. Le parcours médical, et ce n’est pas un petit morceau… pour nous, ça se résume à 2 opérations et un traitement par pilule macro-progestative.
  5. Malheureusement, il n’y a pas d’étape « guérison », « happy end » ou « vie après l’endométriose » … on ne guérit pas de l’endométriose. Mais avec une bonne réponse médicale, beaucoup d’écoute et de bienveillance, on vit avec.



Et la Calédonie vous allez me demander ?

Comme beaucoup de femmes, je me suis d’abord confrontée au scepticisme de certains médecins généralistes et même gynécologues. A l’époque, j’avais tendance à ne pas remettre en question un avis médical. J’ai donc perdu du temps avant de réaliser qu’un médecin n’est pas infaillible, que la médecine est une science qui évolue constamment. J’ai donc insisté et persévéré, je me suis forcée à dépasser le 1er avis médical. J’ai rencontré d’autres médecins auxquels je demandais très explicitement si on pouvait écarter la piste de l’endométriose. J’en avais les symptômes et on parle d’une maladie qui concerne une femme sur 10, par un cas sur un million ! J’ai fait face à plusieurs réactions : « madame, il faut pas croire tout ce qu’on lit sur Internet », « vous voulez un arrêt maladie, c’est ça ? », « prenez donc du spasfon », « si vous ne voulez plus avoir mal, reprenez la pilule ». Cette dernière réponse m’énerve encore tellement. Surtout regardons ailleurs, et attendons que la maladie soit encore plus étendue.


Finalement, j’ai trouvé un médecin généraliste qui a été à l’écoute. Je précise que c’est un homme pour contrer les préjugés sur les femmes qui sont seules à comprendre ces « problèmes de bonnes femmes » (dixit un gynécologue de la place).


La difficulté a ensuite consisté à trouver un gynécologue qui connaisse et maîtrise l’endométriose. Quelques noms circulent sur les réseaux sociaux, de bouche à oreille… ceux qui connaissent, les rares qui opèrent. Honnêtement, je ne saurais recommander aucun d’entre eux pour une chirurgie d’un stade 4.

 
Je résumerais avec les propos recueillis auprès de certains professionnels de santé : il n’y a pas de spécialiste sur le territoire, il n’y a que des gynécos qui connaissent l’endométriose.


J’ai consulté un de ceux-là et il m’a opérée en pensant que j’étais à un stade 1 ou 2. Il a arrêté son geste au bout de 40 min parce que j’étais à un stade 4 et que la maladie était trop étendue pour être opérée dans ces conditions.


Je pense que c’est là que mon parcours devient intéressant à partager. Après l’annonce du stade 4 et une IRM qui révélait des atteintes digestives, le gynéco nous a donné deux choix pour nous qui souhaitions avoir un enfant. Choix 1 : entamer un parcours de FIV en nous précisant que les chances de réussite étaient réduites. Choix 2 : une chirurgie bien plus importante.


Je vais rentrer dans les détails pour montrer un certain retard médical en Calédonie concernant le traitement chirurgical. Ici à Nouméa, ce gynéco nous proposait une opération de 5 à 8h, en laparotomie (ouverture du ventre d’une dizaine de cm), avec une quinzaine de jours d’hospitalisation. Il fallait que je sois en ménopause artificielle depuis quelques mois (merci pour la décharge hormonale, la prise de poids et les sautes d’humeur !). Surtout, les résultats n’étaient pas garantis…


A ce moment-là, nous avons commencé à douter et à rechercher d’autres solutions. A force de lectures de témoignages, de rapports, de discussions, nous avons décidé de nous tourner vers la métropole et un de ses plus reconnus spécialistes : le Pr Roman à Bordeaux. Ce chirurgien ne traite que les stades 4 de la maladie ayant des atteintes digestives, il a plus d’un millier d’opérations à son actif.


Au début, j’étais dérangée par le fait de faire appel à un spécialiste très connu, médiatisé, et pratiquant en clinique privée. J’ai rapidement compris que ma santé n’avait pas de prix, que je méritais, que nous méritons toutes le meilleur de la médecine.

Et c’est ce que nous avons eu… vous vous souvenez le descriptif de la chirurgie proposée à Nouméa ? Et bien ce n’est pas du tout ce qui s’est passé 🙂

Sans ménopause préalable, le chirurgien bordelais m’a opérée en 3h, en cœlioscopie (3 petites cicatrices d’un cm). En 4 jours, j’étais sur pied et en dehors de la clinique, et l’intervention a été un succès. Nous avons été surpris par la technologie de pointe utilisée… par exemple, les médecins dans la salle d’opération portaient des lunettes car la caméra insérée dans le ventre permet une visualisation en 3D !


Cette opération que nous avons choisie avait un inconvénient : son coût. Des dépassements d’honoraires importants étaient demandés et à notre charge, plus de 350 000 F dans notre cas.

Chaque situation est différente… voilà quelques pistes pour faire face à ces dépenses :

  • Je n’avais jamais été opérée en métropole et je l’ai appris un peu tard : tout se négocie, notamment les dépassements d’honoraires !
  • Demander à la CAFAT ce qu’ils prennent en charge
  • S’adresser à votre mutuelle, des demandes exceptionnelles peuvent être faites
  • Certaines complémentaires de santé peuvent prendre en charge les dépassements d’honoraires, à vérifier dans le détail des contrats

En plus de la gestion des douleurs, de la fatigue et des inquiétudes liées à la maladie, il y a une charge administrative très importante : documents CAFAT, complémentaire, mutuelle, ordonnances et arrêts maladie…. Rien d’insurmontable, mais c’est important de le savoir, de s’organiser … et de rester patient !

J’aurais pu écrire tellement plus dans cet article, vous parler des témoignages de femmes qui ont été terriblement malmenées, des chirurgies catastrophiques, des réflexions de médecins déplacées, des effets secondaires des traitements qu’on nous assène… La liste des problématiques et des incompétents est longue !

Mais je voulais que cet article soit positif et donne espoir : ne désespérez pas, la recherche et les techniques avancent, renseignez-vous, questionnez les choix et les solutions qui vous sont proposés.

Voilà les quelques conseils que j’aimerais partager, pour toutes les « endogirls », leurs proches et leurs compagnons :

  • Parler et partager. Au début j’étais réticente, gênée de parler de mon endométriose. Mais c’est parce que plusieurs femmes se sont confiées à moi, m’ont expliqué leur parcours et leurs difficultés, que j’ai pu avancer plus rapidement et trouver les réponses dont j’avais besoin. Merci à elles <3
  • Prendre soin de soi, se chouchouter… ça m’a permis de me réconcilier avec ce corps qui me faisait souffrir et contre lequel j’étais en colère. Tous les moyens sont bons pour se faire du bien ! Ce qui a marché pour moi ? Manger sainement, faire du yoga et beaucoup de soins de beauté. Pour d’autres ça peut être de la méditation, arrêter le gluten, se promener en pleine nature…
  • Ne jamais culpabiliser, ne laisser personne dire que nous sommes responsables de la maladie. On entend trop de discours semi-développement personnel / semi-médecines alternatives qui « expliquent » les origines et causes de la maladie. J’ai lu quelques-uns de ces textes expliquant que si tu as une endométriose, c’est qu’inconsciemment tu as, au choix : une relation conflictuelle avec ta mère, un problème de féminité, un non-désir d’enfant … non et non, nous sommes malades, pas responsables, nous sommes une statistique dans une population.
  • S’entourer de personnes à l’écoute. Dans mon cas, 2 personnes m’ont aidée et soutenue : mon compagnon et ma mère.
  • Etre modeste devant la maladie, nous ne connaissons que peu de choses sur elle, sur ses origines… et rappelez-le aux médecins 😉 : eux non plus ne connaissent pas tout.
  • Ne pas se laisser définir par l’endométriose. J’ai mis du temps pour mettre la maladie à sa bonne place. Trouver l’équilibre entre fermer les yeux, penser que ce n’est rien, ne pas en parler, faire l’autruche… et à l’inverse donner trop de place à cette maladie, désespérer et la laisser empiéter sur mon planning, mes activités, mes proches.

Je sais que l’endométriose est chronique, qu’elle nous fera peut-être à nouveau souffrir… mais écrire ce témoignage m’a permis de réaliser tout le chemin déjà parcouru. J’envisage l’avenir avec un petit peu plus de confiance et d’optimisme… et c’est ce que je voulais partager avec vous.

On peut aussi se réjouir de l’ouverture d’une antenne locale d’Endofrance en Nouvelle-Calédonie… j’espère que l’association boostera la sensibilisation sur l’endométriose et qu’elle permettra des échanges 🙂 »